Dossier spécial 15/04/2020

Le confinement, laboratoire du consommateur de demain ?

Le confinement prend parfois des allures de laboratoire. Cette situation inédite nous a converti malgré nous en cobayes. Nos nouvelles habitudes vont-elles nous transformer durablement ? De fait, plus l’épisode du confinement est appelé à durer, plus il apparaît comme un terrain d’expérimentation dans de nombreux domaines. Qu’en est-il de la consommation ? Consommera-t-on de la même manière une fois terminée cette expérience inédite et générale du confinement ? Quels sont les premiers mouvements repérables ?

 

L’analyse des tendances observées et leur confrontation avec ce que l’on observait avant la crise permet de distinguer quatre types de tendances :

 

  • Les tendances conjoncturelles qui devraient disparaître progressivement avec la fin de la crise.
  • Les tendances qui reviennent sur le devant de la scène et qui devraient gagner des points pour la suite
  • Les tendances qui vont s’accélérer : déjà dynamiques avant l’épisode sanitaire, elles ont toutes les chances de connaître un boom dans la société post-coronavirus.
  • Les tendances qui émergent dans cette crise et qui devraient profiter des nouvelles habitudes adoptées pendant le confinement.

 

L’ensemble des chiffres cités dans cet article proviennent de l’enquête annuelle de Sociovision (groupe Ifop). Depuis 1975, l’Observatoire des valeurs et des modes de vie des Français interroge chaque année un échantillon représentatif de 2000 Français âgés de 15 à 74 ans sur de très nombreuses dimensions : valeurs, opinions, état d’esprit, loisirs, modes de consommation, etc.

 

1. Les tendances conjoncturelles : l’expérience de la consommation en mode survie

 

Les premières images de cette crise ont marqué les esprits. Comme si, dans certains pays, le rideau de fer était de retour. La pénurie durable de certains produits (savons, désinfectants, farines, féculents…), les longues files devant les magasins ont en effet ravivé chez certains le souvenir des sociétés de l’ancien bloc communiste. De même, la constitution de stocks ou le rationnement de plusieurs produits dans les pharmacies ont pu faire penser un moment à une économie de guerre. Nous avons fait l’expérience de certaines conditions d’un pays en conflit mais – fort heureusement – sans les effets dévastateurs du conflit (bombardements, affrontements, etc.). La peur de la pénurie et l’incertitude du confinement a incité les Français à ces comportements inhabituels. Mais cette tendance s’est rapidement estompée à mesure que les consommateurs ont constaté le réapprovisionnement régulier des magasins.

 

Que restera-t-il de cette expérience d’une consommation en mode survie ? Des souvenirs, d’abord, et, sans doute, l’envie que tout soit mis en œuvre pour ne pas revivre une telle expérience. Le courant « survivaliste », minoritaire aujourd’hui, devrait gagner quelques adeptes de plus, car il s’est trouvé conforté dans ses principales croyances : la fin du monde se rapprochant aux yeux de ses partisans, il est plus que jamais temps de faire des stocks et de se préparer au pire ! Ce qui est certain, c’est que la tendance à surveiller ses dépenses restera. Il faut rappeler qu’avant le confinement, un Français sur deux déclarait que son budget lui permettait « tout juste de faire face aux dépenses de base (logement chauffage, alimentation, carburant…). Cette tension, à l’évidence, non seulement subsistera après la crise, mais risque de s’accentuer.

 

2. Les tendances qui reviennent : le renouveau du faire “soi-même”

 

Il y a dix ans, en raison de la crise économique de 2008-2009, la tendance à « faire soi-même » a bénéficié d’un franc succès dans notre société. L’économie était en train de se défaire ? Qu’à cela ne tienne, une solution se dessinait : on allait faire soi-même ce que les acteurs traditionnels ne parvenaient plus à faire de façon efficace. Des imprimantes 3D à la machine à pain, en passant par les « fab labs » et les pratiques « collaboratives », les consommateurs étaient invités à participer davantage au grand jeu de la consommation. En se réappropriant des pans entiers de l’économie, ils reprenaient le contrôle de leur vie. En 2015, Michel Lallement publiait L’Âge du faire, un livre qui pariait sur l’essor inéluctable de ces pratiques.

 

En 2020, le confinement a remis à l’honneur le « fait maison ». Contraints de rester chez eux, les Français ont pris du temps pour cuisiner ou faire des gâteaux. Certains ont ressorti du placard leur machine à pain ou leur yaourtière. Cette envie existait avant la crise. En 2019, 73% des Français avouaient vouloir prendre du temps pour préparer leur repas même en semaine, un chiffre qui avait augmenté ces dernières années. Le confinement leur octroie ce temps qui leur faisait défaut. Mais la cuisine n’est pas la seule concernée.

 

Avant la crise, fabriquer ses propres produits cosmétiques ou d’entretien commençait à intéresser un nombre significatif de personnes. Ainsi, 16% des Français disaient « fabriquer eux-mêmes des produits (hygiène, cosmétique, produits d’entretien de la maison, etc.) ». Le confinement va probablement accélérer cette tendance. Certains logements sont ainsi devenus de véritables ruches où des particuliers fabriquent qui du dentifrice, qui du gel hydroalcoolique, qui des masques, etc. Il faut souligner qu’internet leur favorise la tâche : de nombreux tutoriels, dans tous les domaines, leur enseignent les vertus du faire soi-même. De nombreux blogs ou sites de santé les incitent à s’y mettre. Et les arguments mis en avant font mouche en ce temps d’incertitude économique : les produits que nous fabriquons nous-mêmes sont moins chers et plus sûrs, car nous en connaissons très précisément la composition. Enfin il ne faut pas oublier ceux qui profitent d’être durablement bloqués chez eux pour bricoler (retaper un vélo ou une moto pour les beaux jours) et jardiner (pour ceux qui possèdent un jardin ou des plantes).

 

De fait, toutes les activités « faites maison » ont le vent en poupe. Au-delà des bénéfices économiques et sanitaires, une troisième raison permet d’en expliquer les attraits : cela confère à beaucoup le sentiment de maîtriser les choses dans un monde de plus en plus immaîtrisable.

 

Au sortir de la crise, les Français reprendront le chemin du travail et courront de nouveau après le temps. Il est probable que bien des activités pratiquées pendant le confinement déclineront peu à peu. Reste que la préoccupation sanitaire restera et devrait favoriser le développement de l’autoproduction (produits d’entretien, cosmétiques). Last but not least, les difficultés économiques qui s’annoncent encourageront sans doute les gens à se tirer d’affaire par eux-mêmes. Avant la crise, dans la France des « gilets jaunes », 59% des Français reconnaissaient que, « pour dépenser moins », ils font « de plus en plus de choses eux-mêmes (cuisine, réparations…). » Une tendance appelée à se poursuivre.

 

3. Les tendances qui s’accélèrent : circuits courts, offres responsables et vente à distance

 

  • Le triomphe des circuits courts

 

Un peu partout en France, les producteurs locaux ont aujourd’hui la cote. En vérité, ils l’avaient déjà avant la crise. En 2019, 89% des Français déclaraient avoir confiance dans les circuits courts. C’était à leurs yeux la meilleure façon de garantir l’achat de produits frais et sains : une question de transparence et de contrôle. Et 45% disaient avoir acheté directement chez un producteur, sans passer par les distributeurs. Depuis le début de la crise, dans beaucoup de régions, on s’organise pour permettre la distribution de productions maraichères directement aux habitants. Certains producteurs improvisent des drives piétons pour écouler leur marchandise et la demande est au rendez-vous : des produits plus sains et qu’on peut aller chercher sans craindre les attroupements contaminants. Dans certains départements, comme en Gironde, la demande a même dépassé l’offre. Même dynamique pour les Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Celles-ci permettent d’acheter des produits fermiers auprès des producteurs locaux, sans intermédiaire. Avant la crise sanitaire, 9% des Français déclaraient être membres d’une Amap. L’épisode du coronavirus leur permet de démontrer leur utilité : soutien à l’agriculture locale, souplesse de la logistique et sécurité des circuits d’approvisionnement. Leurs responsables l’ont bien compris qui, depuis le début de confinement, ne cessent d’adapter leur organisation pour se conformer aux règles sanitaires (rendez-vous pris à l’avance avec les clients pour éviter les queues, respect des distances de sécurité lors de la livraison…).

 

Dans ce contexte, les tendances au « made in France » et au bio trouvent un nouveau souffle. Elles apparaissent comme meilleures pour la santé.  En 2019, 57% des français disaient être prêts à dépenser un peu plus pour avoir un produit d’origine française, le chiffre le plus haut mesuré depuis les années 90. De même, les fans de bios ne cessaient d’augmenter. 33% des Français reconnaissaient que, quand ils avaient le choix, ils achetaient systématiquement des produits bio ou écologiques, même s’ils sont plus chers. Après la crise, ces tendances devraient se confirmer et s’accélérer. Elles resteront sans doute encore minoritaires en raison de leur prix, mais elles feront plus que jamais l’objet de toutes les attentions. Quant à la vente directe et locale, elle aura marqué des points. Ceux qui étaient déjà convaincus le seront encore davantage et de nouveaux adeptes seront venus renforcer leur rang.

 

  • Le temps des marques responsables est-il venu ?

 

Les commerces de bouche, grands et petits, sont aujourd’hui présentés comme les « premières lignes » de cette « guerre » contre le virus. De fait, les consommateurs redécouvrent leur rôle essentiel. Leurs employés, en prenant des risques, sont régulièrement remerciés par la population.

 

Les grands distributeurs, en se lançant dans la bataille, participent à ces efforts. Leurs actions en témoignent. En garantissant la santé de leurs employés, en les récompensant (prime de 1000 €), en mettant tous les moyens pour maintenir la chaîne de distribution, ils peuvent espérer regagner un peu de considération. Avant la crise, 38% des Français considéraient que la grande distribution allait à l’encontre de l’intérêt général. Un chiffre qui avait beaucoup augmenté ces dernières années. Le changement récent de politique vers le « mieux manger » et le rôle qu’ils prennent dans cette crise sanitaire devraient accélérer leur mutation vers un rôle plus responsable.

 

Au-delà des distributeurs, c’est toutes les grandes entreprises qui sont concernées par ce mouvement. De Kering à Air Liquide, en passant par Decathlon ou LVMH, nombreuses sont celles qui, en réorientant temporairement leur outil de production vers la fabrication de gel hydroalcoolique, de respirateurs ou de masque, participent à l’effort national. Ces comportements responsables vont créer une attente. Il sera difficile de renoncer à cet engagement une fois la menace disparue. D’autant, qu’avant la crise sanitaire, une écrasante majorité des consommateurs attendaient des marques plus de responsabilité et de transparence sur le contenu de leurs produits. Le besoin de preuves va se renforcer. Cette crise représente une opportunité historique de répondre à ces demandes, et, pour beaucoup, de passer des intentions aux actes. De ce point de vue, peut-être cette crise donnera-t-elle un coup d’accélérateur à ce qui se profilait déjà dans les discours : l’avènement du temps des marques responsables.

 

  • L’accélération de la consommation à distance

 

La vente en ligne est la grande gagnante de cette période de confinement. Principe de précaution sanitaire oblige, on consomme beaucoup plus à distance qu’avant dans des catégories très diverses (hygiène, matériel de bureau, jeux vidéo et jeux de société, etc.). Tous les acteurs développent aujourd’hui la vente en ligne. La livraison se généralise et permet à de nombreux magasins de maintenir une activité.

 

La vente en ligne de produits alimentaires et de produits frais qui se développait de façon poussive connaît un bond avec cette crise. Beaucoup de consommateurs qui n’y avaient pas recours (notamment les seniors) y ont vu une façon de se protéger efficacement de la contamination au virus. Avant cette crise, 12% des Français disaient se faire livrer les courses chez soi après avoir commandé sur Internet et 11% disaient faire les courses chez eux et se faire livrer dans la journée. Ces chiffres vont sans doute connaître un rebond.

 

Quant aux drives, sous leurs différentes formules, ils sont plébiscités. Un tiers des Français y avaient recours avant la crise.  Ce chiffre va très probablement augmenter. En 2019, 10% des Français avaient recours à un drive piéton. Et le potentiel était là : 20% étaient prêts à l’utiliser si leur magasin en proposait un. De nombreux commerçants ont mis en place des drive piétons. Souplesse et préoccupation santé sont au rendez-vous : on passe commande par téléphone ou par courriel, on réserve un créneau horaire pour retirer ses achats. Avant la crise, 50% des Français (vs. 27% en 2012) avaient commandé sur Internet quelque chose qu’ils passaient ensuite chercher en magasin. Cette habitude, particulièrement amplifiée par le confinement, devrait se maintenir dans la société post-coronavirus.

 

4. Ce qui émerge : les services en ligne

 

Enfin, il est encore tôt pour se lancer dans le décryptage de ce qui émerge. Mais une chose est sûre, nous assistons à un développement sans précédent de la consommation de services « virtuels » : téléconsultations médicales, séances de sports animés à distance, cours collectifs ou formation en ligne, sessions de coaching en ligne, yoga, relaxation, sophrologie en ligne, etc. Ces services ne sont pas toujours monétisés et permettent à de nombreux acteurs de se faire connaître et de donner le goût de nouvelles activités aux Français. Ces derniers ne s’y sont pas trompés. Ces services leur permettent de transformer cette expérience de confinement en expérience utile pour l’avenir.

 

Quant aux possibilités offertes, elles sont multiples, des « lives » sur les réseaux sociaux – youtube, Facebook, Instagram, etc. – aux séances diffusées sur des sites Web spécialisés en passant par les applications sur mobile. Un vent de créativité souffle à nouveau sur le web. C’est sans doute de là que sortiront les usages les plus innovants de cette période. Affaire à suivre.

 

  • Le consommateur demain

 

Quel portrait se dessine déjà après un mois de confinement ?

 

Un consommateur plus autonome sortira de cette crise, habitué à compter davantage sur lui-même, et plus expert grâce aux tutos consultés sur beaucoup de sujets.

 

Cela sera sans doute aussi un consommateur plus rationnel qui émergera. Rationnel c’est-à-dire moins impulsif. Moins enclin au gaspillage. Moins désireux d’accumuler des biens à tout prix. Plus prudent dans ses dépenses. Plus soucieux d’acheter ce qui correspond vraiment à un besoin. Plus attentif à donner la priorité à ce qui donne un sens à ce qu’il fait : une passion, un hobby, une cause, une expérience… Il y en aura pour tous les goûts.  Mais, attention aux raccourcis faciles : le consommateur de demain ne sera pas nécessairement frugal ou minimaliste. Le plaisir sera toujours au cœur de l’aventure consumériste. Surtout après un épisode aussi éprouvant et incertain que celui du confinement prolongé.

 

L’offre associée : L’Observatoire France 2020

Votre interlocuteur

Rémy Oudghiri Directeur Général Sociovision

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