Dans une société où la quête de sens s’intensifie, les entreprises doivent composer avec une exigence de performance.

Alors que les entreprises cherchent à mieux saisir ce qui nourrit  ou fragilise l’implication de leurs équipes, Alexia Abtan, Directrice de l’investissement et de l’innovation chez SFL, et Frédéric Dabi, Directeur général Opinion à l’Ifop, apportent un éclairage concis sur les ressorts de l’engagement.

Entre signaux de décrochage, force du collectif et rôle structurant du bureau, ils décryptent les enseignements clés d’une étude dédiée à ce sujet central.

“Dans une société où la quête de sens s’intensifie, les entreprises doivent composer avec une exigence de performance.”

Alexia Abtan
Directrice de l’investissement et de l’innovation chez SFL

Question 1 : Pourquoi avoir décider de consacrer cette étude à la thématique de l’engagement ?

Frédéric Dabi : L’engagement est une notion essentielle mais rarement interrogée frontalement. On mesure souvent la satisfaction, la motivation, mais on ne demande jamais explicitement : êtes-vous engagé ? Pourtant, pour un décideur, c’est une clé de lecture précieuse. Cela permet de détecter des signaux faibles, d’anticiper les départs, de comprendre ce qui pousse un salarié à adhérer à un projet, ou au contraire à décrocher. Notre étude fournit justement ces indicateurs : elle rend lisible ce qui ne se voit pas toujours.

Alexia Abtan : Notre objectif est de dépasser l’intuition pour objectiver les ressentis. Dans une société où la quête de sens s’intensifie, les entreprises doivent composer avec une exigence de performance. En interrogeant l’engagement, on leur donne des outils concrets pour comprendre ce qui motive vraiment leurs collaborateurs et influer positivement sur leur implication.

Question 2 : Un salarié sur cinq en Île-de-France est désengagé : est-ce un signal faible ou une menace structurelle ?

Frédéric Dabi : Ce chiffre de 22 % est inquiétant. Ce n’est pas une minorité négligeable et représente – si l’on extrapole – une centaine de milliers de salariés. D’autant plus que les profils « neutres » peuvent rapidement basculer. L’isolement, notamment en télétravail, agit comme un « poison délicieux » : confortable en apparence, mais destructeur à long terme car il place l’individu en retrait du collectif.

Alexia Abtan: Il ne s’agit pas de revenir en arrière sur le télétravail, mais effectivement, de recréer du collectif. Les bureaux sont des totems : ils structurent, véhiculent les valeurs, offrent des repères. Quand on s’en éloigne trop, on perd le lien. Et attention, car 71% des désengagés sont des détracteurs de leur propre entreprise. L’entreprise doit recréer ces moments, ces espaces d’ancrage. Cela demande des relais internes, de la confiance et des feedbacks réguliers. Bref, un vrai travail de fond. Le Général de Cacqueray le dit très bien dans l’interview que nous lui consacrons : « manager, c’est un don de soi ».

Question 3 : À l’inverse, quels bénéfices concrets l’entreprise tire-t-elle d’un haut niveau d’engagement ?

Frédéric Dabi : Les super-engagés sont un capital. Ils rayonnent, motivent, stabilisent les équipes, défendent l’entreprise, y compris sur les réseaux sociaux. Ils se projettent dans la durée, dépassent leur fiche de poste. Ce sont des promoteurs, des ambassadeurs. Ils agissent comme un bouclier contre la démotivation ambiante.

Alexia Abtan : Ce sont aussi ceux qui donnent envie de venir au bureau, de travailler ensemble. Le cercle vertueux se met en place : les collègues engagés donnent envie d’aller plus loin, contribuent à la fierté d’appartenir à une entreprise qui est alignée sur ses valeurs. Notre rôle de foncière, c’est de créer des environnements propices à cet engagement, des lieux de travail mais aussi des lieux de vie. Et cette étude nous aide à les concevoir.

Question 4 : On demande donc de plus en plus aux bureaux ?

Frédéric Dabi : Dans une société fragmentée, l’entreprise devient un repère. Là où les institutions perdent en crédibilité, l’entreprise est perçue comme un acteur fiable. Une personne sur deux considère son bureau comme un lieu de vie. C’est une transformation profonde : on n’attend plus seulement un salaire, mais du sens, des engagements concrets, de l’écoute.

Alexia Abtan : L’entreprise reste un des derniers espaces de mixité réelle : générationnelle, sociale, culturelle. C’est un terreau pour l’innovation, l’échange, le débat. Et les salariés plébiscitent cette diversité, non pas par principe, mais de façon très concrète : dans le choix de rejoindre l’entreprise (70 % des Franciliens jugent « important » la mixité sociale, générationnelle, de genre et de confession) et pour le bosst de créativité qu’elle génère (80 % des répondants considèrent que les réunions les plus créatives sont celles qui mobilisent des personnes de genres différents). Enfin, la mixité dans l’équipe de direction joue un rôle clé dans l’attachement à l’entreprise : 87 % des super-engagés estiment que leur direction est suffisamment mixte en termes de genre (74 % de la population générale). En parallèle on observe un vrai retour à la recherche de structure, à un cadre. Et le bureau matérialise cette espace de cohésion. Quand il est bien situé, agréable, convivial, il attire !

Question 5 : Le salaire est-il encore un levier d’engagement ?

Alexia Abtan : Ce que l’on observe dans l’étude, c’est que c’est loin d’être le levier principal. Une augmentation ne suffit pas à inverser une dynamique de désengagement. D’une certaine manière, c’est rassurant, car cela remet la relation humaine au cœur du jeu. Mais c’est aussi un défi, car cette posture exige du temps, de l’intuition, de la proximité. C’est un travail de fond.

Frédéric Dabi : La vraie monnaie, c’est la confiance. Dire merci, donner du feedback, inclure les collaborateurs dans la vision, dans les décisions. Le collaborateur engagé veut sentir que son avis compte. C’est une attente de reconnaissance, mais aussi de justice, de projection. Un citoyen attend un projet pour sa ville, un salarié attend un cap pour son entreprise.

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