Les Français sont-ils prêts à sacrifier des services publics de proximité sur l’autel des économies budgétaires ? À qui accordent-ils leur confiance pour améliorer la situation de leur territoire : aux élus locaux ou à l’État ? Les habitants des campagnes se sentent-ils délaissés par les pouvoirs publics par rapport à ceux des villes ? À six mois des élections municipales et intercommunales de 2026, une enquête Ifop réalisée pour Intercommunalités de France apporte un éclairage précieux sur le rapport des Français à l’action publique locale. Réalisée en ligne du 10 au 12 septembre 2025 auprès d’un échantillon représentatif de 2 000 personnes, cette étude met en évidence un profond attachement à l’échelon local, particulièrement en milieu rural, dans un contexte de restrictions budgétaires et de fragilisation des services publics.
Les chiffres clés de l’enquête
1. La moitié des ruraux (50 %) ont le sentiment que leur territoire ne bénéficie pas de l’action des pouvoirs publics soit deux fois plus que les habitants de la métropole du Grand Paris (20 %).
2. Les deux tiers des Français (67 %) estiment que les pouvoirs publics ne s’occupent pas assez des communes rurales
3. Une nette majorité de Français (63 %) désapprouve les coupes budgétaires imposées aux collectivités locales.
4. La priorité est largement donnée à la réduction des dépenses de l’État (91 %), loin devant les collectivités locales (47 %) et les dépenses sociales (52 %).
5. Mais à l’échelle locale, la demande de baisse d’impôts progresse également, quitte à réduire les services publics (47 % contre 38 % en 2024).
6. Une majorité de Français estime que les services publics de santé se sont dégradés ces dernières années (61 % pour la médecine du quotidien et 57 % pour les urgences), un sentiment en nette progression depuis 2017 (+16 et + 19 points).
7. Les Français ont plus confiance dans les collectivités locales que dans le gouvernement pour résoudre les problèmes, qu’il s’agisse de la gestion des finances publiques (44 % contre 22 % pour l’Etat) ou de répondre aux besoins du quotidien (68 % contre 8 %).
8. Les figures politiques locales comme le maire (68 %) et le président de l’intercommunalité (57 %) inspirent la confiance d’une majorité de répondants.
Les enseignements de l’enquête
A) UN SENTIMENT D’ABANDON DE LEUR TERRITOIRE TRÈS IMPORTANT CHEZ LES FRANÇAIS VIVANT EN MILIEU RURAL
Le sentiment que son territoire est délaissé par les pouvoirs publics reste très répandu en France, et particulièrement en zone rurale. Plus d’un Français sur trois (37 %) considère que le territoire où il réside « ne bénéficie pas de l’action et de la présence des pouvoirs publics ». Ce niveau, pratiquement inchangé depuis 2017, témoigne d’une fracture territoriale persistante. L’évolution est quasi nulle (+1 point en huit ans), signe que les actions menées depuis une décennie n’ont pas atténué ce sentiment d’abandon. Il est nettement plus prononcé dans la France rurale. En effet, une moitié (50 %) des habitants des communautés de communes estime aujourd’hui que les pouvoirs publics n’agissent pas assez sur leur territoire. C’est beaucoup plus que dans les villes et les métropoles, où ce sentiment demeure minoritaire. Le contraste territorial est frappant : plus le cadre de vie est rural et éloigné des centres urbains, plus les habitants expriment l’absence de la puissance publique. D’une manière générale, les Français jugent que les zones rurales sont les territoires les plus négligés par l’action publique. Ce constat transcende les clivages politiques, bien qu’il soit particulièrement aigu au sein de certains électorats (par exemple, 83 % des électeurs de Marine Le Pen estiment que l’État ne s’occupe pas assez des communes rurales). En creux, cela révèle une demande forte de solidarité territoriale en faveur de la « France des champs », qui se sent oubliée par rapport à la « France des villes ». Ce n’est cependant pas le seul angle mort perçu par les Français : près d’un sur deux (49 %) juge que l’État ne s’occupe pas assez des Outre-mer, et quatre sur dix estiment la même chose des banlieues populaires (42 %). À l’inverse, plus de la moitié des Français (53 %) estime que les pouvoirs publics s’occupent « trop » de Paris et de la Métropole du Grand Paris. Ce sentiment d’abandon est cependant en net recul depuis 2017 sur la plupart de ces territoires (-20 points pour les communes rurales, -18 pour les banlieues, et -13 pour les Outre-mer).
B) LES FRANÇAIS NE VEULENT PAS QUE LES ÉCONOMIES BUDGETAIRES FRAGILISENT L’ÉCHELON LOCAL, NOTAMMENT EN MILIEU RURAL
Dans ce contexte, les Français ne veulent pas que les efforts de réduction des dépenses publiques se traduisent par un affaiblissement de l’échelon local, en particulier dans les territoires ruraux déjà fragilisés. Interrogés sur la récente cure d’austérité aux collectivités proposée par le Gouvernement, ils expriment un rejet clair : 63 % des Français désapprouvent ces mesures budgétaires à l’égard des collectivités locales (baisse de 5,3 Md€ des dotations proposées par François Bayrou). Autrement dit, près des deux tiers de la population voient d’un mauvais oeil ces coupes budgétaires qui risquent de se traduire par une dégradation des services de proximité. Ce refus est cohérent avec l’attachement global aux services publics locaux : une personne sur deux considère prioritaire de conserver ces services partout sur le territoire, quitte à augmenter les impôts, plutôt que de fermer des équipements pour réduire la dette. Certes, cette proportion était plus élevée en 2017 (58 %), ce qui indique qu’en huit ans l’adhésion de principe au maintien inconditionnel des services publics de proximité s’est quelque peu érodée. La hausse des préoccupations liées à la dette publique et à la pression fiscale, particulièrement mises en avant par François Bayrou pendant son passage à Matignon, a pu rendre une partie des Français plus réceptifs aux arguments budgétaires. En effet, 85 % des Français estiment prioritaires les enjeux de maîtrise de la dépense publique et de réduction de la dette publique. Mais 91 % estiment qu’il est prioritaire de réduire les dépenses de l’État, contre une minorité (47 %) pour les collectivités territoriales. Cela démontre l’attachement d’une majorité de Français au pouvoir d’agir des élus locaux, notamment en matière de services publics. Sur le terrain, cette opposition à l’austérité locale est particulièrement vive dans les territoires peu peuplés et dépendants des services de proximité. Les habitants des communes rurales – qui cumulent sentiment d’abandon et raréfaction des services – s’avèrent être les plus inquiets face aux baisses de moyens des collectivités. À l’inverse, dans les grands centres urbains mieux dotés en infrastructures, la perspective de réduire la dépense publique locale est un peu mieux acceptée, la population y étant légèrement plus encline à penser que des économies sont possibles sans trop impacter la vie quotidienne. Par ailleurs, lorsque l’on pose concrètement le choix au niveau local, les avis se divisent de plus en plus entre améliorer les services publics locaux quitte à payer plus d’impôts ou diminuer les impôts quitte à rogner sur les services. La balance tend même à pencher du côté de la baisse des prélèvements : 47 % des Français privilégieraient désormais une diminution des impôts locaux au prix d’une réduction des prestations (contre 38 % seulement en 2024). Ce basculement, en un an seulement, démontre une importante montée des préoccupations fiscales, possiblement alimentée par l’inflation et le contexte de rigueur budgétaire, mais il n’en reste pas moins que près d’un tiers des Français (33 %, seulement 3 points de moins qu’en 2024) continue de choisir l’option inverse, souhaitant d’abord améliorer les services publics locaux même si cela implique de contribuer davantage. Les milieux ruraux demeurent sans doute les plus attachés à leurs services de proximité, quand les urbains – notamment les catégories aisées et les seniors urbains – se montrent plus sensibles à la pression fiscale (on note par exemple que 53 % des 65 ans et plus privilégient la baisse des impôts locaux). Les écarts entre territoires traduisent ainsi des priorités différentes selon le vécu local : réduire les impôts dans les territoires urbains où l’offre de services reste abondante, en opposition au fait de maintenir un maillage de services publics dans les territoires ruraux qui en ont le plus besoin. Dans ce contexte de tensions concernant les services publics, la santé apparaît comme le coeur des inquiétudes des Français pour leur territoire. Une majorité de Français juge que l’accès aux soins ordinaires ainsi qu’aux infrastructures d’urgence s’est dégradé en dix ans (respectivement 61 % et 57 %, soit 16 et 19 points de plus qu’en 2017), un ressenti majoritaire dans tous les types de territoires, de la communauté de communes à la métropole (hors Métropole du Grand Paris).
C) LA CONFIANCE ENVERS LES ÉLUS LOCAUX EN FORTE AUGMENTATION
Les Français accordent en premier lieu leur confiance aux élus locaux pour améliorer les choses, loin devant les élus nationaux. De manière générale, les élus de proximité (maires, présidents d’intercommunalités, etc.) bénéficient d’un capital de confiance supérieur à celui des acteurs nationaux pour développer les services publics et assurer la cohésion des territoires. La confiance des Français envers les élus locaux est même en forte augmentation depuis 2017, qu’importe la strate étudiée. Le président d’intercommunalité est d’ailleurs celui dont la confiance augmente le plus fortement (+10 points). L’enquête confirme qu’en 2025, comme déjà en 2017, la préférence des citoyens va nettement au « local » plutôt qu’au « central » pour agir efficacement près de chez eux. Cette prime à l’échelle locale s’illustre tout particulièrement chez les populations les plus dépendantes des services de proximité : les personnes âgées, par exemple, font massivement confiance aux collectivités plutôt qu’au Gouvernement pour assurer leurs besoins courants (ils sont 72 % des 65 ans et plus à le déclarer). Globalement, les Français semblent percevoir leurs maires et élus locaux comme plus à même de comprendre les réalités du terrain et d’y apporter des solutions, là où l’action de l’État central est jugée trop lointaine ou moins efficiente. Cette confiance prioritaire envers les acteurs locaux se vérifie sur l’ensemble du territoire, avec des nuances. Dans les petites communes et les communautés de communes rurales, la figure du maire et des élus de proximité inspire une confiance presque instinctive, héritée d’une tradition de proximité quotidienne avec les administrés. Même les plus jeunes générations, parfois perçues comme éloignées de la politique locale, adhèrent à ce sentiment : ainsi, 67 % des moins de 25 ans disent faire confiance au président de leur intercommunalité pour développer les services publics et la cohésion territoriale – un taux élevé qui suggère que l’échelon intercommunal s’ancre progressivement dans les esprits comme un niveau pertinent d’action publique. À l’inverse, dans les grandes agglomérations et métropoles, la confiance envers les élus locaux est un peu plus modérée : l’anonymat relatif et la complexité de ces vastes territoires peuvent atténuer le lien de confiance, et une partie non négligeable des habitants des métropoles conservent une attente vis-à-vis de l’État central. Néanmoins, dans chaque type de territoire, les collectivités locales devancent le Gouvernement dans la confiance des citoyens lorsqu’il s’agit de réduire les inégalités territoriales et d’assurer un service public de qualité. En 2025 plus que jamais, la clé de voûte de la confiance des Français réside au niveau local, au plus près du quotidien des habitants, ce qui constitue un message fort à l’approche des échéances municipales et intercommunales.
Le point de vue de l’Ifop :
En somme, l’étude Ifop-Intercommunalités de France de septembre 2025 met en lumière un paradoxe apparent : d’un côté, la France des territoires ruraux et péri-urbains, qui exprime haut et fort un sentiment d’abandon, et de l’autre, des citoyens globalement attachés à leurs services publics de proximité (santé,…) et enclins à plébisciter l’action de leurs élus locaux. Face aux défis budgétaires et aux fractures territoriales, le niveau local apparaît ainsi, aux yeux des Français, comme un échelon essentiel pour maintenir la qualité de vie et la cohésion dans l’ensemble des territoires. Les maires et présidents d’intercommunalités, en première ligne, portent plus que jamais l’espoir de combler le fossé entre les territoires ruraux délaissés et les centres urbains jugés dynamiques.
François Kraus, directeur du pôle « Politique/Actualités »
Léo Major, chargé d’études au pôle « Politique/Actualités »