
En cette rentrée universitaire 2025, COP1 et l’IFOP présentent la troisième édition de leur baromètre annuel sur la situation des étudiants en France. Deux ans après le pic inflationniste de 2022-2023, cette enquête permet d’évaluer l’évolution de la précarité étudiante dans ses multiples dimensions : insécurité alimentaire, difficultés de logement, santé mentale et accès aux soins. Les résultats révèlent une situation contrastée, entre légère amélioration de certains indicateurs et persistance de difficultés structurelles qui questionnent l’efficacité des dispositifs d’accompagnement existants.
Une précarité alimentaire installée dans les pratiques quotidiennes
L’édition 2025 confirme l’ancrage durable de la précarité alimentaire chez les étudiants. Si la proportion d’étudiants sautant régulièrement des repas par manque d’argent se stabilise à 34% (contre 36% en 2024), elle demeure supérieure à la moyenne nationale (29%). Les bénéficiaires de COP1 restent particulièrement touchés avec 62% concernés, témoignant de situations de grande vulnérabilité. Face à ces contraintes, les stratégies d’adaptation se sont généralisées et pérennisées : 74% privilégient systématiquement les repas à domicile, 70% se tournent vers des produits moins chers et adoptent des pratiques anti-gaspillage, 68% fréquentent régulièrement les discounters. Plus préoccupant, 46% réduisent leurs portions et 53% modifient leurs menus vers des recettes moins coûteuses. Le recours à l’aide alimentaire concerne désormais 16% des étudiants.
Après le pic inflationniste : une amélioration relative mais fragile
L’année 2025 marque un léger reflux des renoncements sur plusieurs postes de dépenses. Les restrictions touchent désormais 45% des étudiants pour les divertissements et l’habillement (contre 52% en 2023), 33% pour les produits d’entretien (contre 39%). Cette amélioration relative, probablement liée à la décélération de l’inflation, ne doit pas masquer que ces niveaux restent systématiquement supérieurs à ceux observés dans l’ensemble de la population française, suggérant une normalisation de la précarité plutôt qu’un véritable retour à la normale.
Santé mentale : des émotions négatives persistantes et un accompagnement insuffisant
Les problématiques de santé mentale demeurent prégnantes dans la population étudiante. Deux tiers des étudiants (66%) rapportent ressentir principalement des émotions négatives – fatigue, sentiment de débordement, solitude – contre 34% d’émotions positives. Le sentiment de solitude touche particulièrement cette population : 34% des étudiants se sentent régulièrement seuls, proportion nettement supérieure à la moyenne nationale (19%). On observe néanmoins une décrue continue de ce sentiment depuis 2023, passant de 45% à 41% puis 34% en 2025. Cette amélioration progressive suggère une forme de normalisation post-COVID, les générations étudiantes actuelles retrouvant progressivement des conditions de socialisation plus habituelles après les perturbations majeures de la période pandémique. Le dispositif Santé Psy Étudiant, peine pour le moment à monter en puissance : seuls 35% des étudiants ayant consulté un psychologue y ont eu recours en 2025, proportion comparable à 2024 (37%). La méconnaissance reste le principal obstacle, 41% des non-utilisateurs déclarant ignorer l’existence du dispositif. Plus largement, moins de la moitié des étudiants (47%) s’estiment suffisamment informés sur les aides psychologiques disponibles.
Précarité menstruelle et renoncement aux soins : une double peine pour les étudiantes
La situation des étudiantes révèle des vulnérabilités spécifiques qui ne fléchissent pas. La précarité menstruelle touche toujours 23% d’entre elles, niveau stable depuis 2024 et supérieur à la moyenne nationale (16%). Chez les bénéficiaires de COP1, cette proportion atteint 40%. La stagnation de ces chiffres interroge sur l’efficacité des dispositifs de distribution gratuite de protections hygiéniques mis en place. Parallèlement, 42% des étudiantes ont déjà renoncé à des soins gynécologiques, proportion qui monte à 47% chez les bénéficiaires de COP1.
Des parcours académiques contraints par les difficultés financières
Les contraintes économiques redessinent profondément les trajectoires universitaires. L’enquête révèle que 30% des étudiants ont renoncé à intégrer l’établissement de leur choix pour raisons financières, 27% ont modifié leur orientation professionnelle initiale, et 22% envisagent de raccourcir leurs études. Ces renoncements, qui s’ajoutent aux difficultés de réussite (53% ont échoué à au moins un partiel), questionnent la capacité du système d’enseignement supérieur à assurer l’égalité des chances. Le lien entre précarité et échec académique apparaît de manière criante dans les taux de redoublement : 32% des étudiants ayant recours à l’aide alimentaire ont redoublé une année, contre seulement 17% pour ceux n’y ayant pas recours. Cet écart de 15 points illustre comment l’insécurité alimentaire compromet directement les capacités d’apprentissage et de réussite. Les étudiants en situation de précarité cumulent ainsi les handicaps : renoncements en amont sur le choix des formations, difficultés à suivre pendant le cursus, et risque accru d’échec qui rallonge mécaniquement la durée et le coût des études – créant un cercle vicieux où la précarité génère de l’échec qui lui-même aggrave la précarité.
Un déficit chronique d’information sur les aides disponibles
La méconnaissance des dispositifs d’aide constitue un obstacle majeur à l’accès aux droits. Moins de la moitié des étudiants se déclarent bien informés sur les aides financières (49%), psychologiques (47%) ou administratives (39%). Seuls 24% connaissent les aides juridiques disponibles. Ce déficit d’information, stable voire en progression sur certains domaines, limite considérablement l’efficacité des politiques publiques de soutien aux étudiants.
Le point de vue de François Legrand, Directeur d’études et de clientèle
Cette troisième édition du baromètre IFOP/COP1 révèle une situation paradoxale. Si certains indicateurs montrent une amélioration après le choc inflationniste de 2022-2023, les niveaux de précarité demeurent élevés et les pratiques d’économie contrainte se sont durablement installées dans le quotidien étudiant. Plus préoccupant, les dispositifs d’aide existants peinent à atteindre leurs objectifs, qu’il s’agisse du dispositif Santé Psy Étudiant, ou des mesures contre la précarité menstruelle. Face à ce constat, l’enjeu n’est plus seulement d’augmenter les moyens mais de repenser l’architecture même de l’accompagnement étudiant. La co-construction avec les étudiants apparaît indispensable pour adapter les dispositifs à leurs besoins réels et leurs modes de vie. L’amélioration de la communication sur les aides existantes et la simplification des démarches d’accès constituent des priorités immédiates. À plus long terme, la réflexion sur un système de soutien plus universel et moins fragmenté mérite d’être approfondie pour garantir à chaque étudiant les conditions matérielles nécessaires à sa réussite académique.