LES CHIFFES CLES
1 – En une cinquantaine d’années, la société française s’est largement ouverte au principe du libre accès à l’IVG : plus des trois quarts des Français (77%) sont aujourd’hui favorables à un accès sans restriction à l’avortement alors que cette position n’était pas encore majoritaire dans l’opinion au moment du débat sur la loi Veil (48% en septembre 1974).
2 – Aujourd’hui, les Français expriment ainsi une vision beaucoup plus libérale des conditions d’accès à l’IVG que les Américains… En effet, la position la plus « libérale » en la matière – c’est-à-dire qui soutient « le droit d’avorter librement » – est aujourd’hui partagée par huit Français sur dix (81% des Français soutiennent le droit d’avorter librement) contre à peine la moitié des Américains (50%).
3 – Très logiquement, le soutien à la constitutionalisation du droit à l’avortement fait quasiment l’unanimité en France – 86% des Français y sont favorables – alors que les Américains restent très partagés sur sa récente « déconstitutionalisation » aux Etats-Unis : 61% des habitants y désapprouvent la décision de la Cour suprême de révoquer le droit constitutionnel d’avorter, contre 39% qui l’approuvent.
4 – Cet écart avec les Etats-Unis est d’autant plus large que le soutien des Français à la constitutionalisation du droit à l’IVG s’est renforcé depuis l’arrêt de la Cour suprême, la proportion de Français soutenant cette démarche constitutionnelle est encore plus forte aujourd’hui (86%) qu’il y a six mois (81%), en particulier dans les électorats mélenchonistes (89%, +4 points) et lepénistes (90%, +10 points).
5 – Le fossé qui sépare les deux rives de l’Atlantique sur l’avortement tient à des visions très différentes des questions de genre et de féminisme. Ainsi, la proportion de personnes qui condamnent moralement l’avortement est trois fois plus élevée aux Etats-Unis (45%) qu’en France (15%). Et ce plus grand conservatisme moral aux Etats-Unis se retrouve sur les relations sexuelles entre adolescents (55%, contre 35% en France), les relations entre homosexuel(le)s (39% contre 19% en France) ou le changement de sexe (54%, contre 38% en France).
6 – Il faut dire que le féminisme bénéficie d’un soutien plus élevé dans la société française que dans une société américaine beaucoup plus polarisée sur ce sujet. En effet, ces clivages France / Etats-Unis tirent une part de leur explication dans le rejet plus fort dont fait l’objet le féminisme dans le pays de l’Oncle Sam : à peine un Américain sur deux (52%) s’affirme féministe, contre les deux tiers des Français (67%).
« Le débat sur la constitutionnalisation de l’IVG a le mérite de mettre en exergue le « gap » culturel entre les deux nations : la société française est aujourd’hui tellement plus sécularisée que les discours « pro-Life » n’impriment pas au-delà des milieux religieux catholiques, évangéliques et musulmans. Contrairement aux États-Unis où les positions des partisans et opposants à l’IVG sont plus ou moins figées depuis 50 ans, l’opinion publique française est, elle, massivement attachée à l’avortement aussi bien dans son principe que dans le détail de ses conditions d’application. Ce consensus autour d’un des principaux droits sexuels et reproductifs des femmes explique le soutien massif à la démarche actuelle de constitutionalisation qui rencontre d’ailleurs peu de freins dans les électorats conservateurs : seul le zémmourisme, expression de la fraction la plus traditionaliste et réactionnaire de la droite radicale, émet une certaine résistance. La volonté des Français de graver le droit à l’avortement dans le marbre de la Constitution n’est donc pas qu’une réaction à l’actualité états-unienne mais reflète une tendance de fond au respect de l’autonomie individuelle et de maîtrise de sa sexualité qui passent par la garantie du droit des femmes à contrôler leur corps. »
François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle de l’Ifop