Enquête sur la sexualité anale à l’ère de la déconstruction masculine

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05.11.25

  • Ifop Opinion

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À l’occasion du Movember, mois dédié à la sensibilisation du cancer de la prostate, l’Ifop et LELO publie une grande enquête sur les tabous liés à la sexualité anale, les clichés qui y sont associés et leurs effets sur la santé et la vie sexuelle des Français(es). Il est vrai que cette dimension très taboue de l’intimité cristallise nombre d’enjeux, tant sur le plan sanitaire – avec les freins au dépistage du cancer colorectal –, identitaire – avec la persistance de représentations homophobes associant pénétration anale et homosexualité –, que relationnels – avec les dynamiques de pouvoir au sein des couples hétérosexuels. Réalisée dans le cadre de l’Observatoire LELO de la sexualité des Français(es), cette enquête menée auprès d’un échantillon national représentatif de 2 000 Français(es) met en lumière les profondes mutations qui traversent le rapport des hommes à leur corps et à la sexualité anale, tout en révélant la persistance d’inégalités de genre dans l’expérimentation de ces pratiques chez les femmes.

A) L’ANAL, C’EST PAS POUR LES « VRAIS MÂLES » ? L’OPPROBRE QUI ENTOURE ENCORE LE SEXE ANAL IMPREGNE LES REPRESENTATIONS DE LA SEXUALITE MASCULINE AU POINT D’ETRE UN FREIN AU DEPISTAGE DU CANCER COLORECTAL

Pratique historiquement stigmatisée, la pénétration anale masculine fait encore l’objet de représentations virilistes au point d’altérer la santé des hommes, notamment en matière de dépistage du cancer colorectal.

1 – La stigmatisation de la pénétration anale masculine passive apparaît comme un frein majeur au dépistage du cancer colorectal si l’on en juge par la proportion limitée d’hommes qui accepteraient d’être dépistés par un professionnel de santé : à peine un homme sur deux y seraient disposés (51%), et ils y sont encore moins enclins parmi les hommes n’ayant jamais été pénétrés sexuellement (32%).

2 – La gent masculine reste imprégnée d’une vision traditionnelle de la sexualité où la masculinité paraît antinomique avec toute forme de rapport anal passif : l’idée selon laquelle « être pénétré analement quand on est un homme est une atteinte à sa masculinité » est ainsi partagée par près de quatre hommes sur dix (37%), notamment par les plus religieux (51%).

3 – Cette conception rigide de la sexualité transparaît aussi dans l’adhésion à des thèses aux relents masculinistes ou homophobes comme l’idée selon laquelle « les rapports anaux sont une pratique réservée aux hommes homosexuels » (28%) ou encore qu’un « « vrai homme » ne se laisse pas introduire un doigt dans l’anus, même si cela peut lui procurer du plaisir » (24%).

 B) LOIN DE NE CONCERNER QUE LES FEMMES, LA SEXUALITÉ ANALE PASSIVE PREND DÉSORMAIS DE MULTIPLES ASPECTS AUXQUELS S’OUVRENT EN PRIORITÉ LES HOMMES LES PLUS PROGRESSISTES

Malgré le poids de ce stigmate, l’étude brise les clichés autour du plaisir prostatique, révélant une banalisation de ces pratiques, notamment dans les franges les plus progressistes de la gent masculine.

4 – Pour la première fois dans une étude, une majorité d’hommes admettent avoir déjà été pénétrés analement dans leur vie (52%), sachant que leur niveau de pratiques anales passives n’a plus rien à envier à celui observé dans la gent féminine comme on peut le voir pour la pénétration digitale (40% contre 46% des femmes), l’anulingus (34% contre 33% des femmes) ou l’utilisation de sextoy (14% contre 16%).

 5 – La pratique de la sodomie dans les couples hétérosexuels semble, quant à elle, marquer le pas… Car si cette pratique a fortement progressé depuis les années 70 (14% en 1970, 24% en 1992, 37% en 2006), elle semble désormais se stabiliser : 49% des femmes de 18 à 69 ans ont déjà pratiqué la sodomie au cours de leur vie, soit un taux proche de celui mesuré il y a une dizaine d’années (46% en 2014).

6 – Une sexualité anale féminine plus agentive émerge, avec des femmes qui ne sont plus objets passifs de la pénétration masculine, mais actrices dans des scénarios où les rôles de genre traditionnels sont « inversés » : 30% des femmes déclarent ainsi avoir déjà pénétré analement un(e) partenaire, soit deux fois plus qu’il y a huit ans (16% en 2017).

7 – Mais cette forme d’interchangeabilité des rôles « pénétrant/pénétré » est plus visible dans certains milieux. Si les hommes les plus progressistes, les plus aisés et les plus féministes acceptent plus facilement un rôle passif, les hommes appartenant à la frange la plus conservatrice et la plus populaire de la gent masculine font globalement preuve d’une plus grande rigidité dans l’inversion des rôles de genre.

C) FRUIT SOUVENT D’UNE PRESSION MASCULINE, LA SEXUALITÉ ANALE PEUT NEANMOINS ÊTRE SOURCE DE SOUFFRANCES PHYSIQUES OU PSYCHOLOGIQUES POUR NOMBRE DE PRATIQUANTES

Le moindre engouement féminin pour la sodomie se doit d’être mis en perspective avec les inégalités de genre caractérisant l’expérience de la sexualité anale, les femmes l’associant souvent à une contrainte masculine alors que chez les hommes, elle s’inscrit plus plus dans une démarche hédoniste et volontaire.

8 – L’un des résultats les plus important de cette étude est l’existence d’une « zone grise » du consentement en matière de sexualité anale féminine. Moins de la moitié des femmes (45%) rapportent qu’elles souhaitaient vraiment être sodomisées la première fois que cela leur est arrivé, contrairement aux hommes dont l’initiation anale a été pour la plupart volontaire (74%).

9 – L’analyse des facteurs de motivation du sexe anal montre aussi qu’il est souvent le fruit d’une pression masculine au sein de couple ou de certaines injonctions culturelles valorisant les scripts sexuels sortant de l’ordinaire. 39% des femmes déclarant avoir accepté cette pratique « pour faire plaisir à leur partenaire alors qu’elles n’en avaient pas vraiment envie ».

 

Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop :

Cette étude sur la sexualité anale met en lumière « l’archipélisation sexuelle » d’une société traversée par des tendances contradictoires aussi bien chez les hommes comme chez les femmes…

Chez les hommes, la sexualité anale passive reflète un processus de déconstruction des masculinités traditionnelles porté par les franges les plus progressistes de la population masculine. Mais dans une autre frange de la population masculine, un tabou puissant persiste autour de la sexualité anale masculine dans les milieux religieux et conservateurs qui fait obstacle à ces évolutions, et qui freine leur accès aux soins.

Chez les femmes, un même clivage « progressistes/conservateurs » structure l’exploration du versant anal de leur sexualité.  D’un côté, les pratiques actives laisse augurer une sexualité plus égalitaire qui subvertit les rôles sexuels traditionnels. Mais de l’autre, l’écart considérable entre hommes et femmes dans le consentement à l’initiation anale témoigne de la persistance d’une asymétrie de pouvoir au sein des couples hétérosexuels, notamment dans les milieux populaires où la sexualité anale féminine apparaît plus sous l’emprise des pressions masculines.

Au final, le sexe anal ne doit plus rester comme il peut l’être encore un objet de mépris, de moqueries ou de dédain de la recherche sociale : cette étude prouvant peut-être que, plus que toutes autres pratiques sexuelles, l’anal met en exergue les ruptures de la révolution sexuelle des dernières décennies mais aussi le chemin qui reste à parcourir pour arriver à une sexualité réellement égalitaire.

 

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