Dossier spécial 12/05/2020

Crise sanitaire, l’occasion de réinventer un contrat de confiance ?

Plus le contexte est propice à l’inquiétude, plus la confiance devient une condition absolue, qu’il s’agisse d’attirer des clients ou de faire accepter des mesures publiques. Mais – et c’est là le hic – plus construire et pérenniser un niveau élevé de confiance s’avère difficile.

 

La crise sanitaire que nous traversons en est la parfaite illustration. Médias, entreprises, gouvernants, élus locaux : en matière de confiance, qui seront les gagnants et les perdants ? Et pourquoi ?

 

– La France, société de défiance

Tout d’abord, en matière de confiance, d’où partons-nous ? Réponse : de plutôt bas.

 

Selon les chiffres de la dernière vague de l’Observatoire Sociovision France (juillet 2019), la confiance est le 4eme mot – après le respect, la solidarité et la liberté, et ex aequo avec l’égalité – auquel les Français se déclarent le plus attachés.

 

Mais ils ne sont que 28% à penser que « dans la vie, on peut faire confiance à la plupart des gens ». Un score sensiblement identique à celui observé par le World Value Survey, et très inférieur aux 60% enregistrés par la même source dans les pays scandinaves. La médecine moderne ne trouve guère davantage grâce aux yeux des Français puisque, même si une écrasante majorité fait confiance aux soignants, 43% affirment avoir « de moins en moins confiance dans les vaccins qu’on [leur] propose » (une proportion qui atteint 49% chez les 25-34 ans).

 

Pas étonnant dès lors qu’une affirmation comme « En France, les gens ont confiance dans l’avenir » ne recueille que 21% d’accord. Il y a peu de chance que ce score remonte, à l’approche d’une récession que la Banque de France annonce comme « la plus grave depuis la seconde guerre mondiale ».

 

Ainsi, bien avant que l’on jette un regard suspicieux à celui qui tousse à côté de nous ou qu’on se précipite sur les conserves et le papier toilette de peur qu’ils ne viennent à manquer, la confiance ne régnait pas dans l’hexagone.

 

 

– Médias : tracker les infox pour restaurer la confiance

En ces temps troublés, l’information fiable est devenue aussi précieuse que le papier toilette.

 

Contexte anxiogène et surcroit de temps libre obligent, la soif d’information monte et les audiences atteignent des niveaux record. Depuis le début du confinement, ce sont en moyenne 15 à 20 millions de téléspectateurs qui suivent les journaux télévisés des principales chaînes historiques. Les chaînes d’information en continu ont vu leur audience doubler, la presse écrite d’information ses abonnés numériques se multiplier.

 

Ici, bien entendu, ce n’est pas la pénurie que l’on risque, mais la désinformation.

 

Avant que le coronavirus ne bouleverse nos vies, nous n’étions déjà pas moins de 55% à déplorer « J’ai du mal à me faire une idée de l’actualité compte tenu de la multiplicité des fausses informations, des rumeurs, des fake news ». Un sentiment plus prononcé chez les femmes, les moins aisés, les moins éduqués et les moins de 35 ans. Nul besoin d’être grand clerc pour prédire une explosion de ce chiffre.

 

Si les supports traditionnels (notamment la radio et la presse écrite, à qui 72% et 67% des Français déclaraient faire confiance respectivement, contre 61% pour la télévision) s’en tiraient plutôt bien, les canaux digitaux étaient loin d’avoir partie gagnée : les sites d’information uniquement en ligne ne recueillait que 33% de confiance. Bien entendu, c’étaient surtout les réseaux sociaux qui faisaient figure de mauvais élèves, avec 19% de confiance déclarée. « J’ai de moins en moins confiance dans les informations qui circulent sur les réseaux sociaux », clamaient déjà en juillet 2019 68% des internautes.

 

Il est probable que l’écart de confiance se creuse encore davantage sous l’effet de la déferlante d’informations aussi fausses qu’inquiétantes qui a accompagné la crise sanitaire. De l’origine du virus à ses possibles traitements, en passant par la date des vacances d’été, tout semble prétexte à infox, la peur constituant un terreau idéal.

 

Aider à démêler le vrai du faux offre donc aux médias sérieux une remarquable opportunité de regagner une confiance qui s’érodait lentement depuis plusieurs années. Jamais le travail de fact checking mis en avant par chaines de télévision, radios ou sites d’information n’a été aussi important que dans la période actuelle. Une façon pour les médias de réaffirmer leur raison d’être et de contribuer à aider les Français, collectivement, à faire face.

 

– Grande distribution : jouer la carte de la solidarité et de la proximité

Rares à avoir pu rester ouvertes pendant le confinement, les enseignes alimentaires se sont également trouvées en première ligne dans la « guerre » du covid-19.

 

Lieu d’approvisionnement en produits de première nécessité mais aussi – tout aussi important pour le moral des troupes – de biens culturels, d’électroménager, d’articles de loisirs ou d’outils de bricolage et de jardinage, la grande distribution alimentaire a communiqué tous azimuts.

 

Sur les garanties d’hygiène pour les salariés et les clients, sur la mobilisation des équipes, sur la priorité donnée aux soignants dans les files d’attente, sur la défense du pouvoir d’achat de Français éprouvés économiquement, sur la continuité de service et d’approvisionnement, sur le soutien à l’économie nationale et aux producteurs locaux. Le ton était donné : « nous ne profitons pas de la situation ; nous sommes au service du pays ».

 

Les mesures mises en place ont été visibles par tous : personnel masqué et ganté, gestion des flux de clients pour assurer la distanciation sociale, désinfection des caddies… et, passés les premiers jours d’affolement, des rayons remplis. Les enseignes alimentaires ont aussi contribué au tricotage de nouvelles solidarités, en invitant leur aimable clientèle à faire preuve de civisme (respecter les gestes barrière, ne pas venir pour quelques bricoles, regrouper les achats avec les voisins, faire les courses pour les plus vulnérables, …).

 

Et puis, à prédominance alimentaire ou non, les enseignes ont unanimement mis en avant des offres adaptées aux nouvelles conditions de vie des Français confinés. Outils informatiques pour télétravailleurs improvisés ; jouets, activités créatives et jeux de société pour familles privées de sorties ; produits et astuces pour aménager, décorer et ranger des habitations où l’on n’avait jamais passé autant de temps et des espaces extérieurs devenus doublement précieux ; tapis de fitness et vélos d’appartement pour sportifs de salon ; produits gourmands et idées de recettes pour cordons bleus en mal d’inspiration… autant de façons de nous dire d’un air complice : « Nous savons ce que vous vivez et nous sommes à vos côtés ». Le tout en soulignant les aspects positifs du confinement : joies simples du cocooning, cuisiné maison à tous les repas, moments en famille, temps pour soi retrouvé… Souriez, vous êtes confinés !

 

Ainsi, solidarité, proximité, complicité, optimisme ont été les armes de la grande distribution pour (re)gagner le cœur et la confiance des Français. Jusqu’ici, le résultat est plutôt positif. La grande distribution alimentaire « nourrit le pays » contre vents et marées et ses salariés, invisibles en temps normal, sont acclamés comme des héros du quotidien se sacrifiant pour le bien de tous.

 

L’image de la grande distribution auprès du public pourrait s’en trouver renforcée. Elle en avait d’ailleurs bien besoin. Lorsqu’on demande aux Français si la grande distribution « sert » ou « va à l’encontre » des intérêts du public, nos chiffres de juillet 2019 font état d’avis plutôt négatifs : 36% estiment qu’elle les sert, mais 38% qu’elle y est contraire… et 23% disent ne pas pouvoir se prononcer. Et il y avait les 63% de Français convaincus que « la grande distribution n’incite pas à manger sainement ».

 

Qu’en sera-t-il en juillet 2020 ? On devrait probablement observer une progression des opinions positives. Mais prudence tout de même. Car, telle un château de cartes, la confiance, si longue à construire, peut s’effondrer en quelques instants. Déjà, des voix se sont élevées contre le fait que, jouant sur le flou des décisions gouvernementales, les enseignes alimentaires ont profité de la fermeture des autres commerces pour vendre bien plus que des articles « de première nécessité » …tandis qu’à peine annoncée, la vente de masques dans les grandes surfaces a suscité l’indignation de certains soignants et pharmaciens. C’est la qualité de la communication du secteur qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

– Grandes entreprises : pleins feux sur la RSE

Hors du secteur alimentaire également, la bataille de l’image n’a pas manqué de faire rage.

 

On le sait, les grandes entreprises n’ont pas la cote auprès des Français qui ont majoritairement tendance à les associer au grand capital et à l’exploitation de la « France d’en bas », plutôt qu’à la création d’emplois et de richesse collective. Toujours selon nos chiffres de juillet 2019, seuls 34% des Français estiment que les grandes entreprises « servent les intérêts du public » … tandis que les petites entreprises recueillent, elles, un score de 64%.  

 

Mais face à l’urgence sanitaire, la plupart des géants de l’économie ont rivalisé de générosité. Alors que les industriels mobilisaient leurs chaines de production pour fabriquer masques, blouses, gel hydroalcoolique et respirateurs, les fournisseurs d’énergie prolongeaient la trêve hivernale, banques et assureurs affirmaient leur soutien sans faille aux particuliers et aux entrepreneurs, l’agroalimentaire redistribuait ses rentrées exceptionnelles et tous annonçaient dépenser des millions d’euros en sécurisation de contrats de travail, en soutien au tissu économique et en dons aux chercheurs et soignants.

 

Certaines entreprises se sont cependant trouvées face à un dilemme de taille : pour donner la meilleure image, mieux vaut-il protéger les salariés ou assurer le service ? On pense au géant Amazon qui, accusé de préférer les profits à la santé de ses employés, a préféré fermer ses centres logistiques en France avant d’annoncer des investissements colossaux pour améliorer, entre autres, la protection sanitaire et la rémunération des salariés.

 

Même drame cornélien pour La Poste, sévèrement critiquée en début de confinement pour avoir, effectifs réduits et pressions des syndicats obligent, restreint drastiquement le nombre de bureaux de poste (essentiels pour le versement des minima sociaux) et ramené les tournées (indispensables pour le commerce en ligne comme pour la presse) à seulement trois jours par semaine… avant de promettre une remontée en charge progressive.

 

Nul doute que la mise au premier plan des dimensions sociales et éthiques réjouira les 65% de Français qui estiment que « les entreprises devraient plus se préoccuper de l’effet de leurs actions sur l’environnement, sur l’harmonie sociale et sur l’épanouissement personnel » (plutôt que de « se concentrer uniquement sur leurs rôles économique et d’employeur, faire de bons produits, donner du travail, être bien gérées et rentables »), un chiffre qui a bondi de 24 points en 5 ans.

 

Un élan de responsabilité sociétale qui devrait redorer, au moins pour un temps, le blason des grandes entreprises dans l’opinion des Français.

 

– Gouvernants : l’occasion ratée ?

On parle depuis des années du fossé qui se creuse entre les élites et des Français dont 75% ont « l’impression qu’aucun homme politique ne s’occupe vraiment des problèmes des gens comme [eux] ».

 

Si les Français ne croient plus vraiment à une figure providentielle capable de guider le pays (seuls 52% d’entre eux jugent important « qu’il y ait dans notre société des leaders qui donnent des visions claires pour le futur », un chiffre en retrait de 9 points sur les 10 dernières années), on constate généralement que les crises graves ont un impact positif sur la popularité d’un gouvernement (on se souvient du rebond de popularité de François Hollande après les attentats de Charlie Hebdo).

 

Dans le cas présent, les « visions claires » ont pour le moins fait défaut. Quels sont les « secteurs essentiels » ? Qui, parmi les travailleurs ayant continué d’assurer leur mission au contact du public, touchera une prime ? Quid de masques officiellement déclarés d’abord « contre-productifs », puis « pas nécessaires » puis « obligatoires » même si « leur efficacité n’est pas prouvée » ? Et ces revirements s’expliquent-ils par une insuffisance de données scientifiques ou par une insuffisance de de masques, faute d’anticipation ? Sans parler du flou entourant les modalités du déconfinement…

 

L’occasion de rassurer par des actions concrètes, une transparence absolue, un discours cohérent, n’a pas été saisie.

 

Le résultat ne s’est pas fait attendre : la confiance dans la capacité du gouvernement à faire face à la crise du coronavirus s’est rapidement érodée, passant de 46% à 38% entre la 2eme et la 3eme semaine d’avril, selon le baromètre ifop/JDD.

 

Les chiffres de l’Observatoire Sociovision (juillet 2019) montrent que le gouvernement était considéré comme « servant les intérêts du public » par seulement 41% des Français, score bien faible comparé aux 70% accordés aux maires et aux municipalités. L’écart risque de se creuser davantage si face aux hésitations du gouvernement, plus d’élus locaux, dont beaucoup ont été contaminés en assurant au quotidien le maintien des services de proximité et du lien social avec les habitants de leur commune, prennent des mesures sans attendre les instructions nationales (le port du masque est par exemple obligatoire depuis quelques semaines dans certaines municipalités).

 

En attendant, le gouvernement a droit à une session de rattrapage : les Français ayant la mémoire courte, de la réussite du déconfinement dépendra le niveau de confiance dont il bénéficiera à la sortie de la crise.

Votre interlocuteur

Maryline Nguyen Directrice Conseil de Sociovision

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