Resto en couple…
Le faiminisme passe-t-il à table ?
Dans une époque marquée par une hausse des revendications féministes prônant l’égalité entre les hommes et les femmes, de nombreux pans de la vie et du quotidien sont mis en avant pour montrer des inégalités de genre existantes, notamment au sein des couples hétérosexuels. Dans cette perspective, l’Ifop a mené une étude pour Zenchef afin de connaitre les stéréotypes de genre qui peuvent exister – voire perdurer – au restaurant, les attitudes jugées conformes, ainsi que des comportements et actions pouvant s’y dérouler.
LES CHIFFRES CLES
1 – L’un des principaux stéréotypes qui existe concerne l’argent. Pour 72% des hommes et 59% des femmes, « Il est normal que l’homme propose de payer l’ensemble de l’addition au restaurant la première fois qu’il dîne avec une femme ». C’est le signe de la dépendance que les hommes peuvent imposer aux femmes sur la question monétaire, et qui s’intériorise chez une majorité des femmes. 33% des Français imaginent également qu’il est normal que dans certains restaurants chics, les cartes de menus proposées aux femmes ne contiennent pas les prix des plats ou des vins (40% des hommes, 27% des femmes).
2 – Alors que 72% des hommes paient l’intégralité de l’addition lors d’un premier rendez-vous au restaurant, seulement 8% des femmes endossent cette responsabilité. Symptôme encore de ces stéréotypes liés à l’argent, les femmes étant perçues comme ne pouvant ou ne devant pas assumer cette charge financière.
3 – Afin d’éviter de régler tout ou partie de l’addition, certains Français mettent en place des stratégies d’évitement : 22% ont déjà demandé à la personne qu’ils invitaient de partager finalement l’addition avec eux, 8% sont même déjà allés aux toilettes au moment de payer.
4 – Preuve supplémentaire que le téléphone portable s’immisce dans tous les moments et lieux de la vie, beaucoup de Français ont déjà été confrontés à des comportements déplacés au restaurant liés au téléphone. 57% ont vu leur convive poser leur téléphone à table, 38% le consulter fréquemment, ou bien encore 36% répondre à un appel tout en restant à table.
5 – Au restaurant, beaucoup se positionnent dans un contrôle du soi et de l’image qu’ils renvoient. Par exemple, il est déjà arrivé à 39% des Français d’éviter de boire de l’alcool ou trop de boissons alcoolisées afin de « garder le contrôle » pour la suite de la soirée, à 36% de ne pas prendre un plat pour ne pas avoir le ventre gonflé ou des problèmes de digestion, ou bien à 33% de ne pas prendre un plat pour éviter des odeurs rebutantes ou entacher leur image ou leurs habits. Cette manifestation de l’autocontrôle se joue aussi dans cet espace du monde social.
6 – Les marques du genre ressortent aussi dans la gestion des moments au restaurant dans les repas en couple. Si les hommes s’occupent bien plus souvent du choix du vin que les femmes (46% contre 9%), elles gèrent quant à elles bien plus massivement l’éventuelle responsabilité des enfants (41% contre 10%). Les hommes se préoccupent des activités requérant une pseudo-expertise qu’ils pensent maitriser, les femmes héritent encore des besognes plus coûteuses en temps et en énergie.
7 – Donnée documentée par des études de l’Ifop, les hommes se révèlent encore une fois être des plus gros consommateurs de viande. 69% d’entre eux en ont consommé lors de leur dernier repas au restaurant, contre 56% des femmes.
Le point de vue de Thomas Pierre, chargé d’études au pôle Actualités et Politique de l’Ifop.
Lieu apprécié par les couples pour passer un moment ainsi que par celles et ceux dans une phase de séduction, le restaurant n’échappe pas aux stéréotypes de genre. Bien au contraire, des stigmates s’y font jour.
D’abord autour de l’argent, avec des stéréotypes toujours très prégnants, chez les hommes ainsi que chez les femmes : aux hommes de payer, aux femmes de se faire inviter. La persistance de cette répartition des rôles au sein de la population donne à voir comme une dépendance qui s’imposerait aux femmes, une impossibilité pour elles de pouvoir se payer un repas en dehors de chez soi dans un rendez-vous. Le fait de payer apparait en outre comme un outil de pouvoir au sein du couple ou du futur couple, un élément central de la « construction conjugale de la réalité du couple » (Henchoz, 2008[1]).
Par ailleurs, un contrôle de la représentation de soi, une mise en scène du corps (Goffman, 1973[2]) se joue également dans le repas. Nombreuses sont les personnes ne mangeant ou buvant pas comme elles le souhaitent pour donner ce qu’elles estiment être une bonne image d’elles-mêmes. Dès lors, un jeu se met en place au restaurant, où les individus dans un cadre donné cherchent à mettre en avant une image précise de leur personne au travers du repas. Cela touche plus les femmes, qui se retrouvent de fait dans une privation plus importante que les hommes, en écho aux diktats esthétiques et comportementaux.
Enfin, l’attribution des actions et du pouvoir décisionnel au restaurant et dans le cadre des repas est aussi un marqueur de différences genrées. Alors que les hommes s’attribuent le plus souvent les tâches peu contraignantes et nécessitant une pseudo expertise (comme le choix du vin), les femmes continuent d’être dans le travail du care (Molinier, 2013[3]) en s’occupant par exemple des enfants (leur alimentation, les activités). Encore une fois, les attendus patriarcaux s’appliquent jusqu’à la table, les femmes prenant à leur compte le plus souvent cette charge se situant dans l’aide à autrui.
Étude Ifop pour Zenchef réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 5 au 9 mai 2023 auprès d’un échantillon de 1 525 Français, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
Contact Presse :
Thomas Pierre (thomas.pierre@ifop.com)
Étude Ifop menée pour Flash et Zenchef.com
[1] Caroline Henchoz, Le couple, l’amour et l’argent. La construction conjugale des dimensions économiques de la relation amoureuse, L’Harmattan, coll. « Questions sociologiques », 2008, 261 p.
[2] Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, Les Editions de Minuit, coll. « Le sens commun », 372 p.
[3] Pascale Molinier, Le travail du care, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 2013, 222 p.
